sabato 9 luglio 2011

Les blessures de nos enfants

LES BLESSURES DE NOS ENFANTS

Éduquer et «prendre soin de l’âme»

par

ANTONIO BELLINGRERI *

1. L’éducation nous apparaît en ce moment, dans nos sociétés occidentales, comme un sujet très difficile. Il faut rappeler ici, au début de notre réflexion, ce qu’a dit une mère, il y a quelque temps, dans une assemblée de parents. “C’est évident: nos enfants n’ont pas connu le Christianisme. Et cela peut révéler un défaut de notre éducation, nous n’avons pas transmis comme il faut ce que nous-mêmes avions reçu et aimé”.

Ce jugement souligne l’échec de notre mode d’éducation. On le voit, nos enfants s’en vont: ils fréquentent nos maisons comme des étrangers, mais il ne semble pas qu’ils y aient rencontré le sens de leur existence, une vérité telle, qu’ils s’engagent sans cesse à rechercher et à conquérir.

Je me souviens aussi d’une autre mère, pendant la même rencontre, qui parlait de ses enfants de dix et de douze ans et de leur rentrée à la maison le samedi soir. Il n’y a plus une heure où on est sûrs de les voir rentrer, et ça n’arrive pas seulement le samedi soir, mais aussi le dimanche soir, le lundi soir, le mardi soir…Surtout pendant les vacances, le temps devient vacatio, un temps vide plus qu’un temps libre. “Voilà: nos enfants gaspillent leur temps, ils n’ont pas la perception d’avoir dans leur existence une tâche et une destinée à rejoindre”.

Plusieurs d’entre nous, comme pères et mères entendons l’écho, dans nos esprits, des témoignages de ces deux mères. On comprend tout de suite pourquoi ça se passe: même sans se servir de grandes réflexions philosophiques, nous avons appris et nous connaissons notre tâche et notre destinée, ce qui nous engage comme pères ou mères de nos enfants: notre existence est en quelque sorte consacrée à prendre soin de l’autre, de nos épouses / nos époux, mais surtout de nos enfants: avec eux nous sommes liés par un lien inébranlable. Voilà pourquoi notre temps devient précieux, c’est le temps de notre responsabilité, temps de travail et d’édification d’une construction tout à fait singulière, notre famille.

J’ai appris, en étudiant l’histoire de l’éducation occidentale et la pédagogie, par une méthode que les anglais appellent fifty-fifty, à tout partager: à attribuer la responsabilité de nos actions, lorsque on raisonne des relations entre les diverses générations, aux adultes et aux enfants. Cette perception de l’échec, peut vouloir dire que nous sommes conscients de n’avoir pas su transmettre une identité culturelle ou une spiritualité à nos enfants.

Une réflexion conduite à partir de cette affirmation, peut nous aider à comprendre la signification de notre travail éducatif en ce moment très difficile.

2. L’éducation commence au moment où un homme et sa femme, ayant choisi comme idéal de leur existence de s’aimer et de prendre soin avec bienveillance l’un de l’autre, décident de transmettre la vie. Il s’agit d’abord de la transmission de la vie biologique. Le soin empathique d’un tout petit enfant, la garde du droit inaliénable de l’accueillir, de l’aimer et de le faire grandir, constituent ce que l’anthropologie appelle le «code maternel».

Mais il y a aussi une autre transmission qu’on fait à nos enfants, dont ils ont besoin et qu’ils attendent comme une nourriture: il s’agit de leur identité culturelle, peut-être faut-il l’appeler leur spiritualité. La première tâche pour la transmettre est la communication selon le sens d’un ordre symbolique, d’une langue, de ses signes et des structures qui la règlent. Voilà comment on apprend à demeurer dans un monde humain. Ça constitue ce que les anthropologues appellent le «code paternel», une identité personnelle, une Weltanschauung, avec des idéaux et des valeurs définis.

Or, le soin et l’empathie des mères ainsi que l’engagement pour transmettre une identité culturelle confèrent plein de signification au travail éducatif de nos enfants. Nous avons reçu le don de vivre, dans l’histoire de l’humanité, cette période où la condition humaine n’est plus une lutte pour gagner son pain, la légèreté marque plutôt notre existence. Nos enfants surtout sont les enfants de la légères se: ils s’en vont d’une fête à une autre, en cherchant tout divertissement. Mais nous, leurs pères et leurs mères, nous avons appris que la légèresse ne peut jamais effacer le poids lourd de l’existence, le mal dans le monde, ce qui peut rendre le monde si triste. Il faut donc toujours travailler et lutter pour édifier quelque petit coin de bien.

Transmettre une identité culturelle signifie transmettre ce qui pour nous est la valeur par excellence, ce pour lequel il vaut mieux vivre, pouvoir vivre une vie réellement humaine. Voilà la raison pour laquelle la question de l’éducation nous fait souffrir et parfois nous blesse dans notre cœur.

3. Dans la culture populaire de Sicile on dit que les parents “travaillent toujours pour leurs enfants” et en effet on s’efforce de leur donner au moins un bon point de départ, “pour aider leur réussite”. Avec le langage de la pédagogie scientifique on appelle cette “réussite” fleurir – c’est la traduction du mot grec ancien eudaimonía: le devoir des parents est de semer, de mettre en place de bonnes conditions afin de rendre possible cette efflorescence personnelle.

Regardant leurs enfants grandir et devenir des jeunes gens et des jeunes filles, des pères se demandent souvent s’ils seront capables de leur laisser des biens en héritage. Peuvent-ils se contenter de leur laisser une maison ou une activité de commerce? Peut-être y-a-t-il des pères très contents de leur laisser ce genre d’héritage. Mais peut-être n’auront-ils jamais la reconnaissance de leurs enfants, si leurs enfants recevaient seulement des biens matériels. Il arrive très souvent que les enfants satisfaits dans tous leurs désirs et bien rassasiés se sentent “indéniablement tristes et seuls”, selon le mot d’E. Fromm.

Les tout petits de l’école primaire sont amoureux des jouets, ils cherchent déjà à les acheter et posséder toute chose qui forme l’objet de leur désir. La télévision leur transmet cette frénésie de conquérir des choses matérielles, ce qui d’ailleurs homologue tout âge.

L’histoire de l’éducation occidentale et la pédagogie nous enseignent que si une personne humaine développe seulement sa dimension de l’avoir, elle ne développe pas en même temps sa dimension de l’être. D’ailleurs, nous vivons dans un climat général où semble croître une sorte de malaise, une maladie de notre psychologie, tout à fait caractéristique de nos sociétés occidentales à l’âge de la postmodernité; on a proposé de l’appeler «une hypoxygénation émotive». Dans son étiologie il y a les relations presque exclusives avec des choses, ce qui rend difficile rencontrer réellement des personnes; alors que seulement les relations avec d’autres personnes nous permettent de nous oxygéner et nous nourrir au point de vue de notre vie émotionnelle – ce qui s’appelle aussi le soin empathique.

Voilà un mot très important en pédagogie, soin empathique. On désigne par là le cas où chaque personne, en relation avec d’autres personnes, reçoit toujours un peu de chaleur émotive, ce qui est la base de notre énergie, de vie psychique et spirituelle, nécessaire pour soutenir le poids lourd de notre existence. En napolitain, elle s’appelle fantasia: notre cœur se remplit de charge vitale et d’une sorte d’envie de vivre et de vivre avec intensité, car toute personne que je sais rencontrer donne une sorte d’accomplissement à mon besoin d’intimité.

Si nous ne l’on accomplissons pas cette sphère de notre être (la psycho sphère), surtout pendant notre enfance et adolescence, nous subissons une blessure de très grande dimension. L’indifférence des nouvelles générations est souvent l’indicateur de ce malheur, qui atteint un type de personne qui, n’ayant pas la nourriture de leurs émotions et de leurs affections, ne sont pas capables de sentiments véritables et durables. Cet être humain est condamné à rester seulement dans le monde des émotions, expérimentant la primauté d’une simple spontanéité irréfléchie, qui conduit le sujet à donner libre essart à tout ce qu’il ressent.

4. La psychologie nous dit que les blessures les plus dangereuses pour une personne humaine sont les blessures de son cœur, parce que si une personne au cours de son existence ne reçoit ni attention, ni estimation, ni soin, c’est-à-dire aucun amour, elle vivra pendant toute son existence une sorte d’inexistence spirituelle, ce qui veut dire de perdre inexorablement le goût, la joie de vivre. Voilà la blessure la plus dangereuse pour les nouvelles générations, pour nos enfants, la racine de leur indifférence et d’une condition de somnambulisme existentiel.

L’intelligence est dans notre vie une sorte de lumière qui éclaire l’obscurité et qui nous fait voir ce qu’il y a dans la réalité; c’est le pouvoir de reconnaître la réalité pour ce qu’elle est vraiment: voir le sens de ce qui s’offre et pouvoir le signifier, c’est-à-dire le donner et le dire dans notre langage. La conscience de ne pas être pas vraiment aimés, accueillis, estimés – en un seul mot, les blessures du cœur - atteignent tout de suite les racines de notre intelligence, en la rendant opaque, comme si la réalité reste toujours voilée devant elle.

Les blessures du cœur et de l’intelligence atteignent aussi la volonté. Cela arrive lorsque nos enfants n’ont plus des modèles ou point de repère. Les générations précédentes, vivant de bonnes conditions familiales, avaient comme modèle leurs parents; voilà une règle simple pour tout développement et le secret d’une personnalité forte et surtout saine. Dès sa naissance un enfant a besoin d’être aidé à entrer dans la réalité / dans la totalité, ça veut dire qu’il a besoin de quelqu’un qui lui apprend à lire dans le grand livre du monde.

Si un enfant n’a pas vécu un processus de modelage (modèlement), il risque de tomber malade à cause d’une faiblesse durable de sa volonté. Ce processus est un parcours éthique, dans lequel il s’agit d’abord d’assimiler puis de choisir librement un modèle d’humanité, un idéal moral. Nos enfants aujourd’hui s’identifient facilement avec les rôles des dessins animés (cartoons) ou les personnages de la publicité; leurs modèles se multiplient et ceux qu’auparavant ils aimaient deviennent bientôt désuets. Voilà une forme typique de fragilité de la volonté, qui engendre des personnes indifférentes.

En général on peut parler de notre temps comme du temps de l’indifférence. Et en effet, l’indifférence résulte surtout à cause de l’hypoxygénation émotive: la plupart des enfants, des préadolescents, des adolescents et des jeunes d’aujourd’hui ont des relations surtout avec les choses, ce qui les conduit à ne plus avoir des véritables relations avec des personnes. C’est l’expérience de tous les jours: on préfère la télévision ou l’ordinateur, on n’aime plus la parole vivante ou le dialogue chargé d’émotions en famille.

5. Que faut-il faire? Dans les familles, à l’école, dans les groupes d’amis?

Dans les familles, d’abord, on peut transmettre un sentiment éthique de l’existence. Avoir un sentiment éthique signifie donner une réponse à des questions comme celles qui suivent: pour quoi vaut-il mieux vivre? Quel est le but le plus important dans toute notre existence? Si c’est l’argent, alors on programmera tout pour rejoindre ce but, accumuler de l’argent toujours et autant que possible. Mais si nous prenons au sérieux notre famille, la famille qu’on choisit de créer, on découvre qu’on veut vivre pour aimer: que notre vie nous est donnée pour faire fleurir les personnes aimées. C’est la découverte d’une évidence élémentaire, que nous pouvons être heureux et atteindre un accomplissement, il est difficile de le faire autrement.

Le single, celui qui choisit de vivre tout seul, choisit de vivre pour lui-même, engagé pour une «promotion esthétique» de son existence quotidienne. Celui qui choisit d’aimer une personne et de vivre pour elle, choisit de vivre non pour lui-même, mais pour un autre. Il s’engage à faire fleurir un autre, conscient du fait que faire fleurir un autre donne en même temps une efflorescence à sa propre vie.

Fleurir en grec se dit eudaimonía, on traduit ce mot par bonheur. Celui qui choisit d’aimer de tout son être un autre et décide de donner la vie à des enfants, décide de se charger d’une tâche qui transforme toute son existence. C’est là le bonheur: tout ça donne une force, forme un sentiment fort, il s’agit de la décision d’entrer en relation avec un tout petit qui viens du Cœur du Mystère: se rapporter à lui signifie se rapporter au Mystère, se disposer à écouter un appel, une parole personnalisée qui viens des cieux.

L’éducation est cet engagement à faire fleurir une créature. Il faut alors vivre sa famille en essayant de donner la première place à l’amour de son épouse / époux et choisissant sa famille comme «société de frères», selon une définition du Moyen Âge. À ce choix est liée la possibilité d’expérimenter «la forme la plus haute de notre existence», selon le mot d’Edith Stein. «La forme la plus haute de notre existence», est se donner – s’offrir: dès l’aube jusqu’au soir tous mes soucis sont orientés à faire fleurir des personnes. Voilà le sentiment éthique de l’existence: et la première tâche est de mettre au cœur de sa famille l’éducation morale, la recherche du bien. Si nos enfants voient que maman et papa s’aiment, ils apprennent à vivre d’amour, ils voient le bien.

La première tâche de l’école est la formation de l’intelligence. C’est là l’essentiel. Dès les premières années le devoir de l’école est d’aider les élèves à lire le grand livre du monde: à tout regarder et percevoir le lien de toute réalité, l’unité organique du tout – tout se tient: voilà la définition la plus simple de l’infini. Percevoir alors toute réalité dans ce lien, à la lumière donnée par l’infini à notre intelligence signifie en comprendre la propriété, son secret: apprendre enfin à donner à chaque chose son nom. C’est le sens de ce qu’on appelle le travail culturel ou, mieux, de la recherche de la vérité et dont le ressort est la formation de l’intelligence.

Les questions posées nécessitent une collaboration entre la famille et l’école. Un projet éducatif commun donne la possibilité de parler, en famille et à l’école, le même langage, de poursuivre les mêmes buts. Le père / la mère, un professeur, tous peuvent offrir toujours une parole qui est semée quelque part dans le cœur de nos enfants.

Les expériences les plus folles ne peuvent jamais détruire une sorte de boussole intérieure, qui se trouve chez nous, dans notre cœur. Cette boussole peut être nommée le sens de la vérité et du bien, comme l’ont appelé les philosophes classiques. Notre témoignage peut donner à nos enfants le sens de la vérité et du bien, comme héritage le plus précieux.

Vous connaissez le mot de Thérèse de Lisieux: la chose la plus importante est l’esprit de notre enfance. Je désire la commenter par une citation d’un médecin, dans son livre qui s’appelle L’enfant caché dans notre cœur - l’auteur n’est pas un chrétien. Il écrit donc: “Lors de la conception, c’est un instant. C’est le moment où il y a la force la plus grande, nécessaire pour passer du néant à notre être, à l’être unique, singulier que chaque homme est. Notre cœur qui bat reste le symbole de la force vitale originaire, qui reste en nous à jamais, pour tout le temps de notre existence, une mémoire cachée toujours prête à ressortir dans des expressions, des traces de mouvement ou des traces symboliques. Lorsque notre cœur bat, l’être unique, singulier triomphe sur le néant.

“La conscience de ce triomphe nous rend heureux (…) Un enfant n’a pas besoin d’apprendre à être heureux, il lui suffit seulement d’être”.

Avoir l’esprit de l’enfance signifie probablement garder cette exultation spontanée de l’être, ou d’être, pendant tout le cours de notre existence. C’est pour ça que la blessure la plus grave qu’un enfant peut recevoir est celle de perdre cette exultation, cette légèreté – ce que les médiévaux appelaient dulcedo essendi. C’est le secret de notre cœur, notre âme: la trace la plus forte du Mystère de notre origine.

· Antonio Bellingreri, Université de Palerme, Faculté de Science de la Formation

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